14 novembre 2025

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Par Michel Bernier, Associé Sénior et Sofiane Benyouci, Associé Directeur — Innovitech 

Un article paru dans La Presse le 3 novembre brossait un portrait lucide et par moments inquiétant de l’état de l’innovation au Québec. On y rappelait que si nous figurons parmi les meilleurs au pays pour la recherche et le développement, nous demeurons loin derrière lorsqu’il s’agit de transformer nos découvertes en produits, en marchés et en retombées concrètes pour la société. Autrement dit, le Québec est un champion des intrants de l’innovation, mais encore trop timide sur les extrants.  

Et cette situation n’est pas nouvelle. Depuis des années, les rapports s’accumulent, les diagnostics se répètent.  

La vraie question est donc : qu’est-ce qui nous empêche de transformer notre formidable capacité à innover en un réel avantage collectif et durable ?  Nous avons les talents, les idées, les institutions, les infrastructures. Mais quelque chose, entre le laboratoire et le marché semble se perdre. 

L’innovation productive a besoin d’un écosystème dynamique et vivant  

Après plusieurs décennies à observer, accompagner et parfois même à réparer des écosystèmes d’innovation, à l’échelle des PMEs, des grandes entreprises et des organismes de développement économique gouvernementales, une conviction s’impose : l’innovation n’est pas un acte isolé. 

Elle naît d’un système vivant, fait de collaborations, d’essais, d’échecs et d’apprentissages. 
Et comme tout système vivant, elle a besoin d’un écosystème cohérent pour prospérer. 

Quelques grandes leçons de nos 35 années d’expérience à travailler avec les PMEs, les grandes entreprises et les villes et organismes de développement économique tant au Canada qu’à l’étranger : 

1. L’innovation est un sport d’équipe. 

  • Derrière chaque innovation réussie, on trouve plusieurs acteurs qui ont accepté de travailler ensemble : chercheur, entreprise, partenaire industriel, financier, régulateur, utilisateur. Personne n’innove seul ! 
  • Les projets qui fonctionnent sont ceux qui disposent d’un parcours clair : recherche → expérimentation → démonstration → transfert → industrialisation → déploiement. 
  • Chaque étape mobilise des acteurs différents et des compétences complémentaires. Il faut donc des espaces, des mécanismes et des ressources pour orchestrer cette continuité. 

2. La collaboration ne se décrète pas, elle se structure. 

  • Mettre des organisations autour d’une même table ne suffit pas. La collaboration nécessite une gouvernance claire, des objectifs partagés, des incitatifs alignés et la capacité de gérer la propriété intellectuelle, la donnée, les risques et les bénéfices. 
  • Les projets les plus fructueux que nous avons accompagnés sont ceux où les règles du jeu étaient établies dès le début et où chaque partenaire trouvait un intérêt réel à contribuer. 

3. L’innovation exige de la continuité. 

  • Un des défis du Québec réside dans la discontinuité des stratégies. Les programmes et budgets changent et plusieurs initiatives sont interrompues avant d’avoir atteint leur maturité. 
  • Or, l’innovation aime le temps long. Il faut parfois dix ans pour qu’une technologie se transforme en entreprise exportatrice ou en changement de pratiques. 
  • Les écosystèmes qui réussissent sont ceux qui savent maintenir le cap, consolider ce qui fonctionne, amplifier ce qui donne des résultats et apprendre collectivement. 

4. L’innovation n’a de valeur que si elle se traduit en impact. 

  • Investir dans la recherche est essentiel, mais ce n’est qu’une partie de l’équation. 
    La véritable mesure du succès, ce sont les retombées : nouveaux produits, emplois qualifiés, souveraineté technologique, réduction des émissions, qualité de vie des citoyens. 
  • Ce que nous avons appris sur le terrain est simple : lorsque l’innovation se déploie dans des lieux réels, avec de vrais utilisateurs, elle avance plus vite et plus loin. 

Innover dans la manière de faire émerger l’innovation

À la lumière de ces constats, nous croyons que le Québec n’a pas besoin de multiplier les initiatives. 
Ce qu’il faut désormais, c’est renforcer les liens, les ponts, les continuités. 

Autrement dit : d’innover dans la manière d’innover, en profitant des investissements et projets structurants au Québec pour en faire des exemples d’innovation productive.  Par exemple : 

Faire des grands systèmes publics des laboratoires vivants d’innovation 

Le Québec s’apprête à investir des milliards dans de nouveaux hôpitaux, notamment à Vaudreuil-Soulanges et dans l’est de Montréal. Ces infrastructures sont appelées à durer plusieurs décennies. Elles représentent donc bien plus que des projets de construction : elles offrent une occasion historique de faire des hôpitaux québécois de véritables vitrines d’innovation appliquée. 

Pensés comme des “living labs”, ces établissements pourraient intégrer, dès la conception : 

  • Des jumeaux numériques hospitaliers capables de simuler et optimiser les flux de patients, de matériel et d’énergie ;
  • De l’intelligence artificielle clinique pour soutenir la décision médicale ;
  • Des plateformes logistiques automatisées, incluant à terme des drones médicaux ;
  • Des systèmes d’information interopérables et sécurisés, facilitant la continuité des soins et l’usage responsable de la donnée clinique. 

Plusieurs initiatives d’envergure existent déjà comme TransMedTech, MEDTEQ+, IVADO, les programmes d’innovation clinique du CHUM. Mais leur mise en réseau, directement arrimée aux chantiers hospitaliers, créerait un effet transformateur : des solutions conçues ici, démontrées ici, puis exportées ailleurs. Autrement dit, nos hôpitaux deviendraient non seulement des lieux de soins, mais aussi des plateformes d’innovation et des moteurs de souveraineté industrielle. 

C’est le même principe pour le vieillissement actif : habitats connectés, technologies d’assistance, innovation sociale. Dans une société qui vieillit rapidement, ces innovations ne sont pas accessoires elles deviennent essentielles pour maintenir la dignité, la sécurité et la qualité de vie des personnes aînées.  

Bâtir une souveraineté industrielle durable et technologique en réunissant nos forces 

Dans le secteur de la sécurité et de la défense, le Québec possède des forces qui, mises ensemble, forment un écosystème très compétitif : leadership en cybersécurité, expertise reconnue en intelligence artificielle, production d’aluminium, secteur aérospatial de calibre mondial, des PME innovantes dans les capteurs, les drones, les communications, la robotique. 

Pourtant, ces forces restent souvent fragmentées réparties entre programmes, régions et marchés / secteurs distincts. Une grappe intégrée permettrait de les arrimer autour d’une même chaîne de valeur : de la recherche à la production, de la certification à l’exportation. C’est le modèle qu’on retrouve par exemple en Corée du Sud ou en Scandinavie. 

Ce type de gouvernance collective offrirait non seulement une autonomie stratégique au pays, mais aussi un puissant levier d’exportation pour nos entreprises. 

Il en va de même dans d’autres secteurs de notre économie, notamment relié la réindustrialisation verte et intelligente, à l’énergie, aux infrastructures tel que les ports et aéroports où le Canada et le Québec investira massivement au cours des prochaines années. 

Un exemple inspirant : le Campus YMX à Mirabel. On y retrouve un écosystème où l’aéronautique, l’intelligence artificielle, la défense et la mobilité aérienne avancée se rencontrent dans un même lieu. Ce n’est pas seulement un parc d’entreprises, c’est un espace où l’on peut concevoir, tester, certifier et industrialiser des solutions : drones logistiques, taxis aériens électriques, systèmes de gestion de trafic aérien, maintenance intelligente etc. 

C’est un modèle à étendre : dans les ports pour la logistique automatisée, dans l’agriculture pour l’agritech, ou dans les régions isolées pour l’énergie verte. 

Le territoire devient alors un accélérateur d’innovation appliquée et un puissant levier d’attractivité internationale. 

Repenser la gouvernance et les mécanismes de financement de l’innovation 

Innover dans la manière d’innover exige plus que du financement, mais bien de changer notre façon de profiter de nos investissements structurants comme des leviers d’innovation et de souveraineté industrielle et économique, bref d’innover dans notre façon d’innover.   

Le Québec regorge d’organisations, de programmes et d’initiatives dédiées à l’innovation. Individuellement, plusieurs sont performantes. Collectivement, elles peinent parfois à produire l’effet d’entraînement attendu. La raison n’est pas le manque d’effort, elle tient plutôt à la façon dont ces efforts s’articulent entre eux. 

Dans un écosystème où les acteurs se renouvellent régulièrement, où les programmes évoluent à chaque cycle et où les mandats se transforment au fil des années, la continuité devient difficile à maintenir. Or, l’innovation a besoin de stabilité et de lisibilité. Elle exige des règles du jeu qui ne se réécrivent pas trop souvent, et des structures capables d’apprendre, de s’ajuster et de grandir avec le temps. 

Dans la plupart des secteurs stratégiques – santé, éducation, mobilité, énergie, sécurité civile, services sociaux –  l’État est l’un des plus importants acheteurs de technologies au Québec. S’il devient premier client de l’innovation, il peut changer la donne.  

Concrètement, cela signifie : 

  • Privilégier des appels à solutions plutôt que des appels d’offres figés ; 
  • Permettre de tester les innovations dans des milieux réels ; 
  • Évaluer les projets selon leur valeur à long terme, pas seulement leur coût immédiat. 

C’est un modèle puissant que l’on observe déjà en Estonie, au Royaume-Uni ou dans plusieurs pays scandinaves : l’État n’est plus seulement un régulateur ou un financeur, mais un accélérateur d’impact

Conclusion

Les pays qui réussissent ne sont pas ceux qui innovent le plus mais ceux qui déploient le mieux. Au fond, l’innovation n’a jamais été une question de technologie seulement. C’est une question de continuité, de confiance et d’orchestration. 

Chez Innovitech, nous voyons ces forces à l’œuvre depuis plus de 35 ans. 
Notre rôle : aider les acteurs publics, privés et scientifiques à transformer leurs idées en impact durable en bâtissant des écosystèmes d’innovation dynamiques et vivants.