24 juillet 2025
Articles innovation

Le Salon du Bourget 2025 a marqué un tournant pour le secteur aérospatial mondial, et plus encore pour les acteurs québécois. Dans un contexte de relance postpandémie désormais derrière nous, l’édition 2025 a confirmé une dynamique d’accélération, avec des orientations claires, une volonté d’investissement marquée, et un fort engagement collectif.
Ce rendez-vous stratégique a permis de prendre le pouls des grandes mutations à l’œuvre : transition technologique, décarbonation, redéfinition des chaînes de valeur, ou encore intégration croissante des enjeux de souveraineté technologique et territoriale. Autant de signaux forts à décrypter pour anticiper les défis et surtout, capter les opportunités. Mahdi Tika, Directeur conseil chez Innovitech, revient sur les enseignements clés de cette édition.
Le Salon du Bourget 2025 n’a pas seulement mis en lumière les technologies du futur : il a marqué une bascule. Celle d’un secteur qui passe de la spéculation à la structuration, de l’ambition à l’opérationnel. L’édition 2025 a été traversée par un fil rouge : l’innovation n’est plus une vitrine, elle devient une exigence industrielle.
Porté par des avancées notables dans l’hydrogène liquide, la décarbonation prend un tournant concret. Airbus a présenté un réservoir cryogénique ainsi qu’un concept d’avion équipé de quatre piles à combustible de 2 MW, un passage clair de la R-D à l’industrialisation.
Le Canada se positionne activement sur ces enjeux : STRIX, la nouvelle initiative pancanadienne dédiée à la promotion et de la recherche collaborative dans l’industrie aérospatiale et les secteurs connexes s’engage à stimuler et à soutenir financièrement des projets de recherche et développement, tandis que H2CanFly poursuit le développement de ses modules mobiles d’avitaillement en H₂. Ce positionnement pourrait jouer un rôle déterminant pour attirer de futures campagnes d’essais à l’échelle nationale.
Ces initiatives démontrent que la transition verte s’enracine désormais dans les chaînes de valeur concrètes, bien au-delà des discours d’intention.
Productivité durable et numérique appliqué
L’usine intelligente prend forme : Airbus UpNext a dévoilé un démonstrateur MRO dont le jumeau numérique se met à jour en temps réel, tandis que WatchOut a mis en service à Mirabel, en partenariat avec le Centre d’innovation YMX, une plateforme de fabrication reposant sur l’IA. Ces initiatives consolident le Québec en tant que pôle de fabrication avancée.
Souveraineté, défense et dualité des usages
Les frontières entre civil et militaire s’estompent rapidement et redéfinissent les priorités industrielles. La souveraineté technologique n’est plus un enjeu réservé aux États : elle devient un levier d’innovation pour les écosystèmes industriels dans leur ensemble.
Côté défense, Bombardier affirme ses ambitions en consolidant sa filiale Bombardier Défense, avec une offre dédiée aux missions spéciales (ISR/AEW), et en recherchant activement un site nord-américain pour tester de nouveaux capteurs. Cette montée en puissance traduit une volonté claire de jouer un rôle structurant dans les futures chaînes de valeur défense/sécurité.
Autre signal fort : General Atomics a dévoilé le drone collaboratif YFQ-42A, conçu pour voler en essaim avec des chasseurs pilotés. Une avancée qui illustre la normalisation des logiques dual-use, où les technologies développées pour la défense trouvent aussi des applications civiles à forte valeur ajoutée.
Pour les entreprises québécoises, cela suppose de clarifier leur posture stratégique, de s’aligner sur les grandes orientations sectorielles, notamment celles liées à la défense et de démontrer en quoi leurs projets peuvent répondre à plusieurs enjeux à la fois : opérationnels, économiques et technologiques.
Mobilité aérienne avancée (MAA) : la bascule
C’est sans doute l’évolution la plus emblématique de cette édition du Bourget. Longtemps perçue comme marginale ou futuriste, la mobilité aérienne avancée est désormais reconnue comme un axe stratégique sérieux, à la fois par les gouvernements et les industriels.
La publication de la Roadmap for AAM Certification par le réseau des autorités nationales de l’aviation (FAA, EASA, Transports Canada) marque une avancée décisive. Ce document établit six grands principes d’harmonisation réglementaire, assortis d’un calendrier de convergence claire. En réduisant les incertitudes liées aux validations croisées, cette feuille de route lève un frein majeur à l’investissement et envoie un signal fort aux acteurs du secteur.
Outre-Atlantique, le décret présidentiel “Unleashing American Drone Dominance” (juin 2025) donne un coup d’accélérateur politique. Il ordonne le déploiement de démonstrateurs à grande échelle, l’intégration systématique de l’intelligence artificielle, et l’assume pleinement la logique dual-use (sécurité/défense). Ce texte ouvre également des lignes budgétaires fédérales importantes, exerçant une pression indirecte sur le Canada pour proposer une réponse coordonnée, faute de quoi ses opérateurs risquent de migrer vers les infrastructures transfrontalières.
Mais le changement est aussi économique. Des entreprises comme Skyports proposent aujourd’hui des vertiports autour de 20 M$, pensés pour des villes comme Montréal. On quitte l’ère des projets pharaoniques pour entrer dans une logique de déploiement modulaire, soutenue par des modèles d’affaires viables et adaptés aux territoires urbains.
« L’innovation ne se limite plus à la technologie : elle devient systémique. On pense gouvernance, chaînes de valeur, usages. La MAA n’est plus une utopie, elle entre dans les réflexions industrielles sérieuses. »
Ce tournant impose également une redéfinition du rôle des écosystèmes. Ils ne peuvent plus simplement accompagner ou observer : ils doivent créer les conditions du changement. Ceux qui sauront aligner vision, coordination et capacité d’expérimentation deviendront des hubs majeurs dans la chaîne d’innovation de la MAA.
Implications pour les entreprises québécoises
Les grandes tendances observées, qu’il s’agisse de la décarbonation, de la montée en puissance de la défense, ou encore de l’essor de la mobilité aérienne avancée, ne sont pas de simples tendances mondiales. Elles redéfinissent dès maintenant les attentes du marché, des gouvernements, et des grands donneurs d’ordres. Que l’on soit un OEM, un sous-traitant de rang 1 ou 2, ou une PME spécialisée au Québec, chacun est directement ou indirectement touché par au moins l’un de ces axes structurants.
Ce contexte ouvre des perspectives, mais impose aussi de clarifier sa posture stratégique. Encore trop d’entreprises abordent ces transformations par l’angle unique de la technologie, alors que les enjeux sont aussi réglementaires, économiques, industriels. L’innovation n’est plus une simple option ni un département à part : elle devient le socle même de l’adaptation. Pour tirer parti de l’élan actuel, on doit prendre du recul : comprendre les grandes orientations sectorielles, identifier les bons créneaux, prioriser les investissements. Cela suppose de bâtir une feuille de route claire et réaliste, fondée sur une connaissance fine des dynamiques du marché, pour éviter de subir les changements plutôt que de les piloter.
Trois enjeux se dessinent pour les entreprises québécoises :
Ce sont ces actions qui permettront aux entreprises d’assurer leur compétitivité à court et moyen terme et de s’inscrire durablement dans la transformation du secteur. Dans un environnement aussi mouvant, la capacité à anticiper, se positionner, et créer les bons partenariats devient un avantage concurrentiel décisif. L’enjeu n’est plus seulement d’innover, mais de le faire dans la bonne direction.
Face à la transformation rapide du secteur, l’écosystème québécois n’a pas à tout repenser, il doit surtout gagner en lisibilité et en cohérence. Les initiatives sont là, solides, portées par des acteurs clés comme Aéro Montréal, le CRIAQ, le CNRC, STRIX, H2CanFly, ou encore Espace Aéro. Leur alignement sur les grandes orientations du Bourget montre que le Québec est déjà sur les bons rails.
Mais le défi reste structurel : trop d’initiatives avancent en silo, avec peu de coordination stratégique. Pour une entreprise, surtout une PME, il est encore complexe de naviguer dans cet environnement : qui mobiliser ? À quel moment ? Avec quel levier ?
L’enjeu n’est donc pas de créer de nouvelles structures, mais de mieux connecter celles qui existent, de clarifier les rôles de chacun, et de rendre l’information accessible et opérationnelle. Il faut offrir aux entreprises un point d’entrée lisible, fiable et coordonné.
Cela suppose aussi une vision industrielle claire, construite autour de stratégies structurantes à tous les niveaux : nationale pour l’aérospatiale et la mobilité aérienne avancée et provinciale pour le secteur et la défense. Ces stratégies ne doivent pas rester des intentions : elles doivent devenir des repères pour guider les investissements, orienter les feuilles de route, et encourager la convergence des efforts.
Dans cette dynamique, des partenaires spécialisés comme Innovitech peuvent jouer un rôle catalyseur. En aidant les entreprises à structurer leur réflexion stratégique, à prioriser leurs initiatives et à clarifier leur positionnement, ils contribuent à transformer l’ambition collective en projets concrets. C’est aussi ce type d’accompagnement qui facilite le dialogue avec les pouvoirs publics et maximise l’impact des investissements d’innovation.
Le Salon du Bourget 2025 a confirmé un tournant stratégique pour l’aérospatiale mondiale : décarbonation, souveraineté, mobilité aérienne avancée… Ces tendances redessinent déjà les règles du jeu.
Pour le Québec, c’est une opportunité, mais aussi une responsabilité. Le territoire est aligné sur les bonnes priorités, et l’écosystème dispose des expertises, des talents et de la capacité industrielle pour jouer un rôle moteur. Encore faut-il passer à l’étape suivante : structurer l’action collective.
Trois territoires mènent déjà des efforts continus pour structurer une filière régionale forte : Mirabel, Montréal et Longueuil. Ils concentrent une masse critique d’acteurs industriels, de centres de recherche, de plateformes d’essais et d’initiatives d’innovation.
À ce titre, ADM (Aéroports de Montréal) se positionne comme un acteur-promoteur stratégique avec l’acquisition récente de l’ancien site de LION, qu’elle ambitionne de transformer en un centre d’innovation dédié aux grandes tendances du secteur : mobilité aérienne avancée, décarbonation et applications duales civil-défense.
Les entreprises doivent se positionner rapidement, bâtir des feuilles de route réalistes, et intégrer les bons partenaires pour transformer l’élan actuel en projets tangibles. Les gouvernements, quant à eux, doivent offrir des repères clairs pour sécuriser l’investissement et accélérer l’innovation.
Dans cet élan, l’écosystème québécois a un rôle clé à jouer. Non pas en empilant de nouvelles initiatives, mais en renforçant la coordination, la clarté, et la capacité à faire émerger des projets structurants.
Ce que nous dit le Bourget 2025, en somme : les conditions sont réunies. Il ne reste qu’à agir, avec ambition, méthode et cohérence.